Le phénomène ChatGPT continue de s’immiscer dans toutes les conversations, tandis que chacun y va de son couplet sur les cas d’usage possibles. Même s’il est difficile de prévoir l’ampleur exacte que prendra le phénomène et à plus forte raison son calendrier, la direction, elle, est assez claire. Les dirigeants d’entreprise et les responsables des Ressources Humaines se doivent donc déjà d’anticiper les conséquences sur les compétences en entreprise.
On ne s’attardera pas ici sur les compétences des acteurs directs de l’intelligence artificielle, même s’ils en sont le moteur. Ils ne sont après tout que quelques dizaines de milliers dans le monde à faire progresser l’IA, et peut-être quelques centaines de milliers à la mettre en œuvre. Ceux-là sont très demandés et habitués à soigner leurs compétences. Leur avenir est assuré.
Le vrai enjeu porte sur les centaines de millions ou milliards d’individus ordinaires que nous sommes à vivre et travailler avec l’intelligence artificielle. Comment en tirer le meilleur parti, comment s’efforcer de prospérer davantage sans pour autant se mettre en danger ? Que doivent faire les employeurs pour mettre en place les bonnes structures, les bonnes habitudes, les bonnes compétences ? Il en ressort trois grandes actions à mener.
1. Comprendre les bases de l’IA pour travailler avec elle : le littérisme numérique
Au XXème siècle il fallait savoir lire et écrire d’une part, compter de l’autre, pour avoir un accès suffisamment confortable à la société. Au littérisme et à la numératie s’ajoute maintenant une autre compétence fondamentale, le littérisme numérique, appliqué ici à l’intelligence artificielle. Sans cette compréhension de base de l’IA et dans le cas présent de l’IA générative, nul n’est à l’abri de sérieuses mésaventures.
Voici les bases que doivent comprendre l’honnête homme et l’honnête femme du XXIème siècle :
L’IA “performe”, mais ne comprend rien. ChatGPT semble interpréter correctement toutes vos demandes et y répondre tout aussi intelligemment, mais il n’a strictement aucune compréhension de quoi que ce soit. ChatGPT ne fonctionne que sur des algorithmes mathématiques, froids, inertes, implacables.
L’IA n’est ni bonne ni mauvaise. C’est juste une technologie. Ce sont les être humains qui décident de l’usage qu’ils veulent en faire. L’immense majorité voudra sans-doute faire le bien. Mais d’autres seront malveillants. Ils exploiteront la performance de l’IA et la crédulité ou l’ignorance des individus pour les berner, les extorquer, les désinformer, les manipuler, les décrédibiliser.
L’IA est encore très imparfaite. En marge de ses exploits technologiques il arrive à l’IA d’halluciner des réponses complètement fausses. Lorsque l’erreur est patente, elle est inoffensive car tout le monde la voit et, au pire, s’esclaffe de l’imperfection de la machine. Mais il arrive que l’erreur soit plus subtile, avec des faits ou des raisonnements erronés. Par ailleurs, l’apprentissage profond - technologie notamment mise en œuvre par les IA génératives - pâtit aujourd’hui d’une absence d’explicabilité : l’utilisateur ne peut discerner clairement comment l’algorithme aboutit à un résultat donné. Il n’y a pas de référence ou de source comme dans un article de Wikipédia.
Au littérisme numérique doit donc impérativement s’ajouter une dose de pensée critique : prendre du recul et s’interroger sur la véracité ou la plausibilité de ce qu’affirme la machine, et mener les vérifications qui s’imposent. Enfin, pour terminer sur l'exemple concret de ChatGPT, il est important que chacun maintenant sache l'utiliser au mieux - par exemple en composant les prompts adéquats pour obtenir les résultats escomptés.
2. Cultiver ses qualités humaines pour se démarquer de l’IA : les compétences humaines
Le coup d’envoi aura été donné par la machine à vapeur, et la tendance se sera intensifiée au fil des siècles : le travail manuel, en particulier le travail répétitif et intensif, a progressivement été automatisé au gré des révolutions industrielles. Avec la quatrième révolution industrielle, celle de l’IA, c’est au tour du travail des cols blancs d’être progressivement exécuté par les machines. Toutes les tâches de support et d’assistance (du secrétariat à l’aide comptable), certaines tâches d’expertise (du radiologue au traducteur), et désormais des tâches d’interaction et de créativité (du service client à la rédaction de contenu) voient l’emprise de la machine s’affirmer.
Est-ce en soi un drame ? Pas forcément, dès lors que les besoins matériels des uns et des autres sont pris en compte. Bien au contraire, pourrait-on dire : la technologie et l’IA en particulier auront rempli leur rôle lorsqu’elles permettront aux machines de faire le travail des machines, et aux humains d’être pleinement humains.
Se comporter comme un humain c’est développer ses qualités interpersonnelles, savoir donc interagir avec les siens, communiquer et collaborer, prendre soin les uns des autres, faire preuve d’empathie, consoler, être à même d'encourager et d'inspirer autrui.
Non seulement l’IA permet-elle aux humains de se concentrer sur les attributs humains, mais cette focalisation sur les qualités humaines est aussi une assurance pour les individus d’avoir un rôle à part entière, bien valorisé, à l’abri de la machine. La société dans son ensemble, en effet, n’est pas prête à substituer les machines aux êtres humains pour assouvir ses besoins socio-émotionnels. Un encouragement, un compliment, une consolation, un mot de compassion doivent venir d’autres personnes ; la force des relations humaines, le sentiment d’appartenance à un groupe restent pour longtemps des marqueurs humains.
D’autres compétences humaines non-interpersonnelles restent encore le privilège des être humains, par exemple l’innovation et la créativité radicale ainsi que la capacité de raisonnement ou de résolution de certains problèmes. Elles gagnent à être cultivées par les humains pour se démarquer autant que faire se peut.
3. Apprendre à apprendre tout au long de la vie : le portefeuille de compétences
Elle est depuis longtemps révolue, l’époque où la formation initiale, dans les vingt premières années de sa vie, permettait d’être équipé pour sa vie professionnelle jusqu’à la retraite. Avec l’accélération du changement technologique, les compétences se périment de plus en plus vite. Au bout de quelques années à peine, une suite logicielle cesse d’être utilisée, une pratique commerciale est abandonnée, une installation de production est démantelée, un mode de pensée stratégique est remisé. Et en quelques années également, un métier peut se transformer drastiquement, qu’il s’agisse de recrutement ou de gestion de la chaîne logistique, de comptabilité ou de marketing, de développement produit ou de service client.
La conséquence est on ne peut plus claire : il faut apprendre tout au long de la vie. D’une part, il convient de mettre à jour continuellement ses compétences techniques pour rester opérationnel dans un monde de plus en plus technique - mais attention c’est une course derrière une cible mouvante. D’autre part, il importe de développer les qualités humaines décrites plus haut, car elles ont la caractéristique avantageuse d’être plus stables dans le temps, plus universelles, plus transférables. Une fois acquises, leur utilisabilité ne se démentira jamais.
Apprendre tout au long de la vie implique de maîtriser l’une des compétences les plus importantes de ce siècle : la capacité à apprendre. Cela nécessite au préalable le bon état d’esprit : y croire à travers le “growth mindset ” cher à Carol Dweck, cette conviction que l’on peut se développer quels que soient les obstacles apparents ; et se munir de la curiosité qui permettra d’explorer de nouveaux champs de compétences. Les sciences cognitives nous éclairent de plus sur les composantes d’un bon apprentissage : une introspection sur la chose apprise ; la pratique de l’objet d’apprentissage ; le feedback d’agents extérieurs ; et la consolidation ou l’ancrage du savoir à travers une répétition adéquate.
L’apprentissage tout au long de la vie permet de se constituer un portefeuille de compétences et de le faire fructifier au cours de son existence. Il vise à aider chacun et chacune à exprimer son plein potentiel en allant aussi loin que possible dans chacune des compétences ; à se tracer un parcours au plus près de ses aspirations en sélectionnant les bonnes compétences ; à emprunter des passerelles vers de nouvelles voies en recyclant ou recombinant à la demande les compétences, quelles que soient les turbulences d’un monde sous l’emprise croissante de la technologie. La compétence devient ainsi la devise fondamentale du monde du travail, alors que les métiers monolithiques disparaissent progressivement.
Pour les chefs d’entreprise et les responsables de la gestion des talents, la démarche de gestion des compétences individuelles a également une évidente utilité collective. Les compétences individuelles sont agrégées, livrant une cartographie au niveau de l’entreprise. Cette cartographie, dynamique, est le socle de la gestion prévisionnelle des compétences. Elle combine les compétences d’aujourd’hui et celles de demain, comparant le besoin et la disponibilité, proposant des parcours de développement des compétences en pénurie ou le recyclage des compétences en décroissance. La démarche met donc l’entreprise à l’abri du futur en garantissant la disponibilité des compétences indispensables à la conduite et l’évolution de l’activité.
Et ChatGPT, me direz-vous, que pense-t-il de tout cela ? Vous le savez : ChatGPT ne pense rien du tout. Mais l’avis qu’il émet sur la question est assez semblable au nôtre, quoiqu’organisé différemment. Il est comme d’habitude très bien rédigé et étonnamment pertinent. On lui pardonnera d’avoir utilisé deux fois efficace pour vraisemblablement traduire efficient et effectif de l’anglais au français.
En conclusion, la montée de l’intelligence artificielle - et en particulier l’émergence des IA génératives qui font tant parler d’elles actuellement - est l’occasion d’accélérer la mise en œuvre d’une réelle politique de gestion des compétences. Les dirigeants d’entreprise doivent impérativement former leurs équipes en littérisme numérique, valoriser et développer leurs compétences humaines, et mettre en place la culture et l’infrastructure du portefeuille de compétences à développer tout au long de la vie. Cette démarche, bénéfique à chaque collaborateur, est aussi un prérequis au succès de toute organisation.
Elendi peut vous aider à vous engager dans cette démarche - contactez-nous.
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